L’oeil du Kilimandjaro

Merveilleuse tanzanite… Montée en solitaire pour une main délicate , luisant doucement sur le tapis de velours d’un bijoutier, cette pierre inhabituelle attire le regard et étonne l’amateur. Lorsqu’elle est bleu violacé, elle a la profondeur magique du saphir. Plus  pâle, elle prend, dit-on, le délicat bleu pervenche des yeux d’Elisabeth Taylor. L’unique gisement connu se situe au nord de la Tanzanie dans les collines de Merelani, à l’ombre du Kilimandjaro. Découverte en 1967 par Manuel de Souza, un prospecteur portugais parti en quête de saphirs, elle n’a d’abord suscité que peu d’intérêt, les gemmologues ne la considèrent que comme une variété d’un minéral répandu nommé zoïsite. Son nom lui a été donné deux ans plus tard par Henry Platt, vice président de la célèbre bijouterie new yorkaise Tiffany & Co.

Platt avait été immédiatement séduit par cette pierre surprenante, en particulier parce qu’elle est trichroïque, c’est-à-dire qu’elle présente des couleurs différentes, bleu, pourpre ou bronze, selon l’angle sous lequel on la regarde. A l’état brut, la couleur bronze domine, ce qui explique probablement qu’elle soit si longtemps passée inaperçue. La légende raconte qu’un jour d’orage, la foudre tomba sur un vieil arbre pourpre dans les Merelani et enflamma la savane. Les morceaux de zoïsite brune qui affleuraient le sol furent chauffés jusqu’au cœur par l’incendie. Quelques temps plus tard, des bergers masaïs remarquèrent ces pierres d’une magnifique couleur bleue translucide. Ils les ramassèrent et devinrent, ainsi, les premiers collectionneurs. On sait désormais que la gemme doit toujours être chauffée pour présenter sa teinte définitive.

Grâce à une campagne de marketing soigneusement orchestrée par Tiffany, la tanzanite devient à la mode et, au début des années 1980, quelque deux mille mines sont en activité dans les collines de Merelani. Des milliers d’ouvriers masaïs fouillent la terre ou ratissent sa surface. Le prix du carat s’envole vers les 2 000 dollars. Mais les nouveaux chercheurs d’eldorado constatent vite que les veines de tanzanite sont minces et s’amenuisent en même temps que leurs espoirs de faire fortune. Les propriétaires les plus anciens sur le terrain, comme la famille Hakimi, s’inquiètent de l’épuisement des gisements. En dépit des prospections, aucun nouvel emplacement n’est découvert. Merelani reste l’unique pourvoyeur du marché mondial.

Aujourd’hui, seuls cent cinquante sites sont ouverts. Les foreurs travaillent à la pelle et à la pioche. Nul besoin, en effet, de matériel de perçage sophistiqué tant la terre est meuble. Trop meuble, même. Bien des hommes y ont laissé leur vie, écrasés dans des boyaux creusés sans étançon, par une brutale coulée de terre grise. En 1998, des pluies torrentielles venues dans le sillage d’El Niño ont dévasté la Tanzanie et causé de nombreux effondrement.

La tanzanite n’est pas une pierre précieuse, rang auquel n’accèdent que le saphir, l’émeraude, le rubis et le diamant. Comme la citrine, le péridot ou le béryl, elle est appelée pierre fine, un terme moins péjoratif que le « semi-précieuse » jadis employé. Mais à l’égal de toute gemme commercialisée en bijouterie, une gamme d’indices permettent de qualifier sa couleur, sa pureté et sa clarté et d’en définir le prix.

Les amoureux du bleu velouté de la tanzanite l’offriront pour fêter un 24ème anniversaire de mariage. Les exemplaires exceptionnels, ceux qui se sont révélés être dans les tons de vert intense, de bleu nuancé de vert, de jaune et même de rose, sont introuvables sauf dans les collections privées. La plus grosse jamais extraite fait 122,7 carats. Elle est exposée à l’Institut Smithsonian de Washington DC. Pour rêver, les yeux fixés sur la ligne bleue… du Kilimandjaro.