La fin des éléphants

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Je viens d’apprendre que l’hôtel Rossia, à Moscou, fermera définitivement ses portes le 1er janvier 2006 et sera rasé. Il était devenu très laid… Bien plus laid que sur cette photo, prise en 1971, mais je l’aimais bien. Il était l’un des derniers symboles du réalisme socialiste mis en oeuvre en Union soviétique. Quatre ailes reliées par d’interminables couloirs où il était aisé de se perdre, 2 900 chambres – j’ai entendu certains dire 6 000, c’est trop – au confort parfois spartiate, une moquette qui s’était usée jusqu’à la corde mais gardait sa dignité de grand-mère grâce à des ravaudages incessants, deux salles de restaurant qui ressemblaient à des cantines et pouvaient restaurer toute l’Armée rouge, des "Diejournaïa" (concierges d’étages chargées de superviser un lot de chambres) aux allures de dragons, mais dont la bonhomie n’était jamais cachée très loin, bref… une petite ville.
Lors de mon premier séjour à Moscou, j’ai eu la chance d’avoir une chambre avec vue sur la place Rouge. J’ai passé dix jours devant l’immense baie vitrée, à me gaver d’un panorama si large qu’il n’entrait pas dans l’objectif de mon appareil photo : la cathédrale Saint Basile, les murs du Kremlin avec les coupoles de la tour d’Ivan le terrible et de l’église de l’Assomption. J’apercevais même, sur la droite, le tombeau de Lénine.
Je regrette déjà l’hôtel Rossia…
Sa destruction intervient après celle de l’hôtel Intourist, sur la Tverskaïa et celle du Moskva, dans le même secteur. Le Rossia était quand même le plus grand hôtel d’Europe depuis son achèvement, en 1967. Iouri Loujkov, le maire de Moscou, le traite désormais "d’Alien" et "d’entreprise ingérable". Le ministre de la Culture ne lui reconnaît même pas une qualité de "témoin de l’histoire". De toutes façons, c’était le cas de l’hôtel Moskva, ce qui n’a nullement empêché sa destruction.
Reste à savoir ce qu’on mettra à sa place. J’espère qu’on n’aura pas droit à l’un de ces building immondes qui poussent en ce moment à Moscou, qui sont non seulement laids – comme le Rossia – mais également très élevés. Si bien qu’on le verrait depuis la place Rouge, ce qui n’était pas le cas du Rossia, caché au détour de la rue Varvarka.
Kakoï Oujass ! (quelle horreur) dirait mon amir Volodia Motchalov, qui est un esthète.

PS. Photo : Bernard Cloutier