Les pieds dans le sable

Plus rien ne m’arrête… Le sujet de la semaine de Coïtus Impromptus s’appelle "Les pieds dans le sable" et j’ai tout de suite pensé farniente, plage, soleil. Oui mais… il y a la Mauritanie. J’avais écrit quelques lignes sur ce sujet intitulées De la vie dans le désert. Cette fois-ci, j’ai bâti un court récit de fiction sur "le côté obscur du sable", son envers, son venin. Le voici :

Voilà maintenant cinq jours que nous marchons. Devant nous : la ligne d’horizon, frêle objectif qui vacille dans la lumière poudrée du petit matin. Derrière nous, le sombre bilan des kilomètres parcourus la veille, toujours décevant. Partout ailleurs, du sable.

Ce sable est un fléau, une malédiction envoyée sur les hommes pour les punir de leurs égarements. Il s’insinue dans nos vies, se glisse dans nos assiettes, se fraie un chemin jusque dans les replis cachés de notre peau et va, bientôt, envahir nos rêves. Profitant que le vent secoue nos chèches pourtant bien serrés, il s’attaque à nos sens, emplissant nos yeux, nos oreilles, nos bouches. Il est sous nos pieds, dans nos mains, dans nos cœurs.

Nous marchons.

La route est longue, le chemin difficile. Le sable se dérobe sous nos semelles, ralentit notre marche et nous luttons corps à corps, mètre après mètre. Les dunes immenses nous guettent, se lèvent à notre approche, leurs crêtes échevelées se ploient sur nos têtes comme d’immenses vagues, prêtes à fondre sur nous et à nous avaler. Elles sont autant d’ogres affamés et n’attendent qu’un instant de notre inattention pour nous engloutir. Nous songeons à nos corps prisonniers de ces monstres, broyés par leurs mâchoires édentées et puissantes, malaxés jusqu’à devenir ces ossements blancs, secs et salés que le vent découvre parfois sur la plaine caillouteuse.

Nous marchons.

Le sable de la nuit finissante crisse sous nos pieds. Le soleil n’est pas levé, il fait froid. On entend chuinter le vent et les risées soulèvent une mince poussière. Plus que tout, nous craignons la tempête, le vent fou du désert qui, méprisant la fragilité des corps martyrisés, arrache les paysages et sculpte le monde à son image, lunaire et halluciné. Nous y perdons nos repères, nos souffles, nos âmes. Belzébuth hurle dans notre dos, nous sommes alors le jouet du sable, impitoyable mangeur d’hommes et de bêtes.

Nous marchons.

Nous n’avons plus que quelques heures avant que ne se lève notre autre ennemi, l’impitoyable et gourmant soleil qui, lui aussi, ne rêve que de dévorer les frêles esquifs de nos corps insoumis.

Nous marchons.