Voici un petit texte, écrit par un Marocain qui vit dans un pays batave proche, et dont je ne vous livrerai pas le nom dans un premier temps. C’est une réaction "à chaud" de la part d’un musulman, fort intéressante à propos des caricatures parues dans la presse scandinave et reprises urbi et orbi, avec tout le ramdam que vous connaissez.
" Un journal scandinave a publié des caricatures mettant en scène le Prophète Mohammed. Emoi dans les sables du Golfe, manifestations dans l’introuvable rue arabe, menaces de boycott de gus bourrés de pétrodollars, tout est en place pour le psychodrame habituel, celui qui, depuis l’affaire Rushdie, est devenu un genre médiatique. De Rabat à Djakarta, de Londres à Buenos Aires, dans tout le monde musulman en somme, ce n’est qu’une clameur : ne touchez pas à nos valeurs sacrées ! Certes. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Commençons par un détail saugrenu : la Libye a rappelé son ambassadeur à Copenhague, ce qui fait trembler d’effroi tous les Danois. Quand il y a une bévue dans l’air, on peut être sûr que le pays du Guide se précipitera pour être le premier à la commettre. En effet, Tripoli applique ainsi à Copenhague le principe (inconnu jusqu’ici) de la responsabilité d’un Etat dans les turpitudes supposées de ses citoyens. Très bien. Admettons de principe. Mais alors Tripoli est responsable quand un petit délinquant libyen arrache le sac d’une vieille dame dans une venelle de Gênes, quand un playboy libyen casse la g… à sa petite amie dans un palace de Paris (ça s’est vu) ou quand un fondamentaliste libyen appelle à l’extermination des Infidèles (ça se passe tous les jours ouvrables). Tripoli n’a plus qu’à ouvrir une section "excuses, contrition et repentance" dans son ministère des Affaires étrangères. Surtout, qu’on pense à y affecter des milliers de fonctionnaires pour couvrir toutes les exagérations, les insultes, les diffamations, les contraventions, les délits et les crimes commis aux quatre coins du monde par ses ressortissants.
Supposons maintenant que le Danemark et la Norvège présentent leurs excuses et s’engagent à ce que tout cela ne se reproduise plus. Fort bien. On aura ainsi respecté les valeurs sacrées des Musulmans. Nul doute alors que ceux-ci s’engageront désormais à respecter celles des autres. Pour ce qui est des prophètes, des messies et autres personnages épastrouillants, aucun problème : l’islam, qui a le coeur innombrable, les accepte tous. Jésus est cité plusieurs fois dans le Coran – plus souvent que Mohammed, d’ailleurs – et Marie y est dite "la meilleure des femmes". Quant à Abraham, Moïse, Aron et les 70 000 autres figurants de l’Ancien et du Nouveau Testament, tout baigne : ils sont des nôtres.
Mais il ne faut pas s’arrêter là. En effet, les caricaturistes d’Europe et d’Amérique qui vont désormais respecter les valeurs sacrées de l’islam ne sont pas tous juifs ou chrétiens. Certains sont agnostiques, athées, déistes, adeptes du Sâr Peladan, etc. Ne faut-il pas respecter leurs croyances aussi ? Pour plusieurs d’entre eux, Charles Darwin – par exemple – est une sorte de héros, un homme bon et scrupuleux qui a consacré toute sa vie à délivrer les hommes de l’ignorance. Respectons-le donc à partir d’aujourd’hui et qu’aucun caricaturiste de Riyad, de Téhéran ou de Kaboul ne s’avise plus, désormais, de le représenter avec une tête de singe. Même chose pour Karl Marx, même s’il est en perte de vitesse. Tant qu’il restera un bolchevique en vie – et il y en a encore, à La Havane et dans les banlieues parisiennes – interdiction absolue de se moquer de cet homme sacré pour eux. Ajoutons à la liste Freud, adoré dans le 6ème arrondissement de Paris, feu le Négus, que les rastafaris tiennent pour leur Dieu, Ganesh, le Dieu-éléphant (et par extension tous les éléphants), Carlos Gardel le Dieu du tango, 10 000 divinités aztèques et mayas, Pelé, les trolls norvégiens, Pouchkine adoré des Russes, Voltaire et Rousseau, les valeurs sacrées des Lumières, les dieux des mazdéens et les 100 000 idoles des animistes africains. Pour ces derniers, il y a un problème : l’adoration des idoles est nommément moquée et critiquée dans le Coran. Qu’à cela ne tienne, dans l’esprit de conciliation et de respect réciproque qui va, à partir d’aujourd’hui, régner dans le monde, on s’entendra pour ne plus évoquer ce sujet ainsi que tous les autres sujets qui fâchent. En gros, on restera à l’admirable ouverture du Coran, qui évoque un dieu miséricordieux.
Finalement, la crise provoquée par quelques coups de crayons aura eu du bon. Ne nous insultons plus les uns les autres, ne nous vouons plus à l’Enfer, ne nous traitons plus de cochons puants et de singes impies. Chouette ! Messieurs les bigots, tirez les premiers ! "
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