J’aime beaucoup Véronique Tadjo. Elle est Ivoirienne et c’est une fille simple et sensible, qui écrit de merveilleuses histoires pour les enfants. De temps à autre, elle sort un roman pour les grandes personnes et c’est toujours un régal. Même lorsqu’il s’agit de L’Ombre d’Imana, qui traite du génocide au Rwanda. Cette fois-ci, il s’agit de l’histoire de la reine Pokou, fondatrice du royaume Baoulé de Côte d’Ivoire. Reine Pokou est bâti autour de ce thème mythique mais offre au lecteur des variations subtiles, inspirées par les soubresauts politiques que connaît la Côte d’Ivoire depuis trois ans.
L’histoire est évocatrice : Abraha Pokou et son peuple sont contraints de quitter la terre de leurs ancêtres, au royaume Ashanti – l’actuel Ghana – à cause d’un problème de rivalité dans la succession au trône, qui a dégénéré en guerre. Lorsqu’ils parviennent au bord du fleuve Comoë, la reine comprend que seul le sacrifice de son fils unique, né miraculeusement sur le tard, permettra aux siens de passer à gué. « Ba-ou-li » signifie « l’enfant est mort », d’où est dérivé le nom du peuple « Baoulé ».
« Relire ce mythe à la lumière du concept d’ivoirité permet de remettre les choses à leur place, explique Véronique Tadjo. En réalité, les Baoulés qui se proclament Ivoiriens de souche viennent d’ailleurs, comme les Dioulas et les autres. Nous devons accepter notre diversité. » Résidente actuellement en Afrique du Sud, à Johannesburg, elle se sent frustrée de ne pouvoir participer de façon quotidienne au débat qui agite son pays. Elle a trouvé ici une façon indirecte de reposer la question de fond sur l’origine des Ivoiriens. Sa réflexion va même plus loin, puisqu’elle pose aussi le problème du rapport de l’individu avec le pouvoir. « Comment une femme parvient-elle à sacrifier son enfant ? Pokou a souffert de stérilité, un mal terrible et humiliant en Afrique, et on lui demande de jeter son petit dans l’eau du fleuve. Ce devrait être inacceptable… »
La reine Pokou de Véronique Tadjo a plusieurs visages : d’abord celui d’une madone éplorée, qui s’incline devant l’exigence collective et divine, puis celui d’une amazone, conquérante et héroïque, enfin celui d’une femme politique prête à tout. « Je voulais montrer que le pouvoir n’est pas statique. Nous avons des héros, mais il faut savoir analyser leurs actions et découvrir quelle est leur nature profonde », commente l’écrivain.
Reste, pour le lecteur attentif, à approfondir les analogies – apparentes ou cryptées – du mythe avec certains épisodes de la Bible : le sacrifice de l’enfant, les eaux qui s’écartent pour laisser passer l’exode, jusqu’au prénom de la reine, lourd de signification. Un petit livre riche, dense, passionnant.
Hélas, il ne m’est pas possible de vous offrir la couverture, l’image étant jalousement protégée contre les reproductions bloggesques.
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