Et hop : Racontars, dyptique 2ème saison, troisième semaine, un petit texte écrit d’un trait sur une photo de Akynou
Quand j’étais enfant, j’adorais aller chez mon amie Claudine. Ses parents avaient une petite maison dans la banlieue parisienne, avec un bout de jardin et un garage encombré. Tous les deux travaillaient à la poste. Des gens modestes, simples. Claudine aimait beaucoup faire le pitre. Elle ne raffolait pas de l’école, mais était un boute-en-train de génie. Un jour que je l’interrogeais sur son sens de la répartie, elle me dit d’un coup : « tu sais, c’est parce que mon père était clown. »
J’ai longtemps attendu, puis un jour, après un déjeuner un peu morose, j’ai enfin osé dire au père de Claudine : « c’était comment, quand vous étiez clown ? » Dans ses yeux, d’un seul coup, toute sa vie a défilé. Un léger sourire a flotté sur ses lèvres, son regard s’est fait brumeux, lointain. Il ne nous voyait plus, mais se regardait lui-même à travers ses souvenirs. Alors il a parlé de la piste poussiéreuse, de l’odeur de la sciure et de la toile du chapiteau qui claquait au vent ou résonnait des gouttes de pluie. Il a raconté sa solitude, les longues heures de répétition pour mettre au point ses numéros. Les entraînements allaient de la musique – il jouait d’une dizaine d’instruments, y compris du piano – à la gymnastique de haut niveau – il était à la fois trapéziste, funambule, jongleur, cycliste, acrobate et antipodiste – en passant par le monde du dressage, puisqu’il avait même fait un numéro seul avec un éléphant. Il était Auguste et nous a raconté son partenaire, le Clown blanc, « un type fantastique avec le cœur sur la main, une érudition d’universitaire et un sens de l’à-propos confinant au génie. »
Enfant de la balle, le père de Claudine avait trouvé dans sa vocation tout ce qui faisait, pour lui, le sel de la vie. Hélas, la vie l’avait bien mal payé en retour. L’augmentation des charges et des frais d’entretien, la méfiance grandissante des communes traversées par la caravane, l’augmentation obligée du prix des places entraînant la raréfaction du public, tout ceci avait, un jour, eu raison du cirque. La mort dans l’âme, il avait fallu s’arrêter. « Un beau matin, il m’a fallu ranger ma trompette une dernière fois. J’ai refermé les clapets de la vieille boîte que les mains de mon père, et même de mon grand-père, avaient usés et décolorés. Je l’ai posée dans un coin et ne l’ai plus jamais rouverte. » Fini la musique.
Deux mois après nous avoir raconté cette histoire, le père de Claudine est mort, foudroyé par un infarctus. Des mois plus tard, dans le grenier, nous avons trouvé le vieil étui et la trompette.
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